Octobre 1917 : entre révolution russe et poursuite de la guerre

La révolution qui se déroule en Russie, au mois d'octobre 1917, constitue un véritable tournant dans le déroulement de la Grande Guerre. En proposant la paix, le nouveau gouvernement jette le trouble sur l’Europe et inquiète les puissances de la Triple Entente. En effet, non seulement le retrait des troupes du front de l'Est soulagerait les Allemands mais, qui plus est, la révolution pourrait se répandre auprès des ouvriers européens. Ces craintes semblent d'autant plus justifiées que, depuis le début de l'année, une certaine lassitude se fait entendre aussi bien dans les rangs que dans les usines. Un article publié en première page de L’Ouest-Eclair, le 12 novembre 1917, laisse clairement apparaître ces craintes.

A Petrograd, pendant la révolution russe. Image publiée dans l'illustré Le Pays de France. Collection particulière.

Dans un premier temps, le journaliste se veut rassurant en rappelant que, malgré la victoire des « maximalistes », le nouveau gouvernement russe verra prochainement « se dresser » contre lui deux ennemis qui l'abattront : l'armée et la masse paysanne. Il assure qu'une « armée de 20 000 hommes marche sur Pétrograd et [que] les paysans sont invités par leur comité central à ne pas reconnaître le gouvernement maximaliste ».

Vue de Bretagne, la révolution russe serait donc vouée à l'échec mais, si « le gouvernement maximaliste agonise », il a eu le temps d'insuffler « dans les esprits le poison pacifiste ». En effet, dans les propositions de paix qu'ils viennent de soumettre, les « Bolchéviks » ont émis le souhait que leur mouvement s'étende aux travailleurs français, britanniques et allemands qui « ont rendu les plus grands services à la cause et au progrès du socialisme ».

La tentation révolutionnaire est perçue comme un véritable danger pour les puissances européennes. L'auteur tente lui-même de démontrer que la révolution russe est contraire aux aspirations des ouvriers français. Selon lui, « la paix devra assurer la prospérité et l'avenir des peuples victorieux : France, Angleterre, Italie, Russie » et non assurer l’hégémonie économique de l’Allemagne. En effet, il rappelle que c’est ce pays qui a déclaré la guerre dans l’espoir de « favoriser l'invasion des produits de l'industrie allemande dans les pays vaincus ». Ainsi, négocier la paix avec le Reich « se ferait aux dépens du prolétariat des nations qui ont subi la guerre » puisque l'Allemagne a maintenu son territoire intact et que ses « usines fonctionnent à plein rendement ». On reconnait là l’influence d’une grille de lecture léniniste de la guerre qui érige l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, en origine du conflit, propos qui ne manque toutefois pas d’étonner lorsque publié en première page du quotidien catholique L’Ouest-Eclair. Néanmoins, l’auteur assure que la guerre a été conçue comme une « bonne affaire », autant « pour le patronat » que pour les « masses ouvrières d'outre-Rhin ». La solidarité ouvrière s’arrête donc ici aux ouvriers allemands, coupables de s’être comportés comme des traîtres.

Troupes russes. Collection particulière.

L'auteur affirme donc qu'une « paix sans réparation, une paix qui ne punisse pas serait une paix injuste ». Et d’enfoncer le clou en précisant qu’une « paix sans indemnités serait une paix anti-démocratique ». Il est donc selon lui impensable de négocier avec l'ennemi, comme le suggère le « glorieux » passé français :

« La République française a acquis le droit de lui rappeler, d'autre part, qu'au temps où se faisaient chez elle les révolutions, les représentants du peuple prenaient dans leurs assemblées la résolution de ne pas traiter avec l'ennemi tant que ses armées occupaient le territoire. »

On le voit, même si la Révolution russe fait surgir quelques craintes, ce qui préoccupe avant tout, c’est la poursuite de la guerre.

Yves-Marie EVANNO